Commentaire de la CBPQ soumis au sommet
Projet de politique de la lecture et du livre
Commentaires de la Corporation des bibliothécaires professionnels du Québec soumis au Sommet, le 22 avril 1998.
D’emblée la Corporation des bibliothécaires professionnels du Québec et ses 730 membres tiennent à féliciter la ministre de la Culture et des Communications, madame Louise Beaudoin pour avoir déposé le premier projet de politique de la lecture attendu depuis si longtemps par le milieu des bibliothèques.
Dans le même état d’esprit nous tenons à souligner notre entière adhésion au projet dans sa vision évolutive de la lecture, à savoir que c’est dès la petite enfance que l’éveil à la lecture doit se faire tout autant que communiquer le plaisir de lire. Nous sommes aussi satisfaits de constater que le ministère considère essentiel le perfectionnement du personnel des bibliothèques et de son intention de soutenir financièrement les initiatives des associations dans cette voie.
Nous approuvons tout autant le constat que pour rejoindre certaines clientèles, les bibliothèques publiques doivent dynamiser et varier leurs approches. Il s’agit ici d’une ouverture et d’une volonté de travail en commun avec divers organismes œuvrant avec des clientèles non traditionnelles tout autant qu’avec le milieu culturel. Les bibliothécaires professionnels sont sensibles à cet aspect et travaillent déjà en concertation entre associations professionnelles à développer des activités de perfectionnement allant à cet effet, pour soutenir le projet de lecture déposé.
Une politique de la lecture solide repose sur une volonté forte d’un gouvernement à l’instaurer et à y faire adhérer les divers intervenants – municipalités, système d’éducation, bibliothèques, les citoyens, la famille.
Il est fort louable de constater que cette volonté politique se traduit notamment par l’enrichissement des collections des bibliothèques, par la consolidation de l’informatisation des bibliothèques, préalable à l’établissement d’un réseau.
Toutefois, il semble qu’il y ait un grand absent dans le soutien à cette politique – l’être humain, les ressources humaines. Toute politique doit être articulée autour des individus qui lui insuffleront vie.
C’est sur du personnel qualifié que repose la réussite de ce projet car l’ajout de milliers de livres en bibliothèques ne feront pas pour autant accourir les foules et attirer de nouvelles clientèles – ce qui semble être un des objectifs de la politique de la lecture. Dès lors que l’on admette que 43 % de la population québécoise ne lit pas et que dans cette même population une partie ne peut lire pour cause d’analphabétisme, des mesures incitatives adaptées doivent être proposées pour rejoindre ces clientèles si différentes du lecteur « classique ». Des livres en quantité ne peuvent suffire à y répondre. C’est ici que l’élément humain prend sa juste valeur.
Nous tenons à nous limiter dans nos propos à une ressource humaine sous-utilisée depuis trop longtemps, les bibliothécaires, et ce sans intention aucune de porter préjudice aux intervenants sociaux, groupes d’alphabétisation et autres, qui sont partie intégrante du projet.
En reprenant le projet de lecture depuis la petite enfance dont les premiers responsables sont les parents, la famille, nous passons ensuite à la période de l’apprentissage – l’école. À l’école l’enfant est en plein éveil, réceptif à la communication. Le constat du projet de politique de la lecture et du livre est cependant de conclure que l’état actuel des collections des bibliothèques scolaires ne permet pas à celles-ci de jouer leur rôle sur le plan pédagogique, activités d’animation et de soutien à la lecture. Par conséquent on propose d’enrichir les ressources documentaires de ces bibliothèques, de consolider l’informatisation et la mise en réseau.
Questions : qui va faire la sélection des ouvrages et sur quels critères ? Qui va traiter les documents et en faire la diffusion ? Qui en fera l’animation et soutiendra les enseignants dans leurs projets éducatifs ? Quant à l’informatisation et la mise en réseau et ce selon des normes reconnues, la création de catalogues collectifs comme élément de partage de ressources – qui encore effectuera ce travail ? Les comités d’écoles ? Les parents ? Les directeurs d’écoles ?
Il est grandement temps de reconnaître qu’il existe du personnel hautement qualifié pour accomplir cette part importante de la mise en application du projet de lecture – des bibliothécaires.
Faut-il le rappeler, le Québec a sur son territoire deux excellentes écoles universitaires de bibliothéconomie et sciences de l’information qui chaque année contribuent à doter la société d’une centaine de bibliothécaires munis d’une maîtrise et prêts à relever ce défi formidable. De plus n’oublions pas que les différentes réformes des dernières années ont aussi mis en disponibilité du personnel d’expérience, lui aussi prêt à partager son expertise.
Dans le milieu des bibliothèques scolaires il est notoire que le nombre de bibliothécaires est infime – pourtant déjà en 1989, le rapport du comité d’étude sur les bibliothèques québécoises sous la présidence de M. Gilles Bouchard, préconisait une ressource professionnelle par Commission scolaire.
Avant la réorganisation des territoires des commissions scolaires on comptait 130 commissions sur 156 qui n’avaient aucun bibliothécaire à leur emploi. Aujourd’hui si l’on compte, avec le nouveau découpage 72 commissions scolaires (60 francophones, 9 anglophones et 3 autochtones) il n’est pas exagéré de revenir sur cette exigence de combler le manque d’une quarantaine de bibliothécaires scolaires pour mettre en application la politique de la lecture.
Aspect de plus à considérer – le partage des ressources et la mise en réseau semble être la pierre angulaire sur lequel repose le projet de lecture, soumis en consultation publique. Pour ce faire et établir un partenariat scolaire-municipal, même avec le soutien actif des bibliothèques publiques et CRSBP, il est clair que les interlocuteurs des deux parties doivent être des professionnels familiers des dossiers en jeu : normes et standards reconnus, organisation du prêt entre bibliothèques (PEB), création de catalogues collectifs. Le bibliothécaire scolaire qui signera une entente avec une bibliothèque publique ou un CRSBP pourra être garant que les ententes négociées se feront dans le souci du respect de la mission et des objectifs de la bibliothèque scolaire, des besoins des enseignants et des élèves.
Le milieu des bibliothèques scolaires est plus qu’essoufflé, la politique de la lecture est la raison de lui redonner son poids décisionnel et de lui accorder, tout comme au milieu des bibliothèques publiques, accès au perfectionnement.
L’étape de l’école étant franchie, le processus de lecture chemine ensuite vers la bibliothèque publique où se rejoignent toutes les clientèles. Il ne faut pas pour autant négliger sur ce parcours les bibliothèques collégiales et universitaires qui jouent un rôle important dans le développement intellectuel et créatif de l’adulte.
Le milieu des bibliothèques publiques : le gouvernement recommande d’améliorer la fréquentation des bibliothèques publiques et la qualité de leurs services ; de soutenir la mise en réseau des services en bibliothèques et de donner aux Québécois une institution d’envergure nationale. Pour améliorer le taux de fréquentation on propose, suite à des études qui démontrent que la qualité des collections est un déterminant important, d’augmenter l’enveloppe budgétaire affectée au programme de soutien aux acquisitions de documents et l’apport d’un million de nouveaux livres par année durant cinq ans. Exercice très louable et nécessaire. Mais on a aussi oublié de mentionner que dans les facteurs déterminants dans la fréquentation selon « Le rendement des bibliothèques publiques autonomes » – éléments d’explication, série rapport d »études, Gilbert Gagnon et Rosaire Caron, MCC, 1995, les ressources humaines, le personnel qualifié, étaient aussi importantes si pas plus que le nombre de livres disponibles.
Il est clair qu’entre un entrepôt de livres bien garni mais sans âme et la mise en valeur du livre par les conseils et l’orientation offerts par un bibliothécaire, réside la différence.
Le succès d’une bibliothèque publique repose sur un juste équilibre entre différents éléments : accessibilité (horaire, tarification, locaux), fonds documentaire, personnel qualifié, animation, traitement documentaire et gestion de services. Or le projet de politique de la lecture accorde une part très importante de sa réussite au rôle que joueront les bibliothèques publiques. Celles-ci n’ont pas été épargnées financièrement cette dernière année et subissent encore les contrecoups du renvoi des dépenses aux municipalités. Pour qu’elles puissent remplir la mission qui leur incombe – la mobilisation du personnel est requise mais celui-ci se fait rare faisant écho au milieu scolaire. Les bibliothèques publiques vivent aussi dans un contexte où certaines municipalités vont jusqu’à remettre en question l’utilité et la nécessité d’avoir un responsable de la bibliothèque et même de considérer un bibliothécaire. Or nous avons démontré que le facteur humain, le personnel qualifié est essentiel tant pour implanter le partage des ressources, la mise en réseau que pour communiquer l’envie de lire aux individus à toute étape de leur vie.
Nous le répétons le perfectionnement du personnel en place, le soutien à l’achat de documents et à l’informatisation sont autant d’excellentes mesures mais certes insuffisantes à une politique globale de la lecture sans mesures incitatives à l’embauche de personnel qualifié pour la mettre en pratique.
Nous recommandons que des mesures de financement à l’embauche de bibliothécaires en milieu scolaire et public soient instaurées sur une base progressive à concurrence de 50 % du salaire pour la première année. Et quant aux CRSBP, que des mesures financières adéquates soient accordées pour l’embauche de personnel qualifié en soutien aux projets qui leur seront attribués soit dans la coopération et leur renforcement des réseaux autant que dans l’animation et la sensibilisation à la lecture.
La promotion de la lecture et la bibliothèque – en marge des activités proposées dans les écoles, bibliothèques, salons du livre etc., il nous semble primordial de concevoir une campagne d’information médiatique sur l’existence et le rôle de la bibliothèque publique dans l’accès pour tous à la lecture, l’information et le savoir. Certes des émissions littéraires existent déjà sur les réseaux de télévision mais il faut remonter aux années 80 pour retracer une campagne publicitaire sur la bibliothèque présentée par Yvon Deschamps. Quoi de mieux notamment pour s’attaquer au fléau de l’analphabétisme, que de s’en prendre visuellement et de faire connaître aux personnes qui vivent en marge de la bibliothèque par méconnaissance ou préjugé, les services multiples qu’elle peut leur offrir. Il nous faut développer dans la population, tel un automatisme, le réflexe d’aller à sa bibliothèque pour lire et y trouver la réponse à ses questions, de quelque ordre que ce soit. Télé-Québec semble l’outil tout désigné pour la diffusion de ce message. La Corporation des bibliothécaires professionnels du Québec, offre son entière collaboration dans ce dossier qu’elle n’a cessé de répéter au fil des mémoires présentés aux diverses consultations publiques des dernières années.
De son côté elle travaille activement grâce au support du ministère de la Culture et des communications, à présenter deux guides adaptés en français sur un projet de promotion du rôle de la bibliothèque dans la population « Mobilisons-nous pour l’avenir des bibliothèques ».
Dans le soutien à la mise en réseau des services entre bibliothèques, il est fait référence au rôle de bibliothèques-ressources qui serait assumé par des bibliothèques de villes-centres ou capitales régionales. Le rôle de la bibliothèque-ressource exige plus de précisions quant aux modalités de fonctionnement, son mandat précis et l’articulation de son rôle face aux commissions scolaires.
Enfin nous ne saurions terminer nos commentaires sur le projet de politique de la lecture et du livre sans émettre quelques attentes quant à la coordination du dossier bibliothèques, son suivi et l’arbitrage qui devra nécessairement intervenir entre les divers intervenants. Il est noté au sujet de la mise en place à l’échelon régional d’un réseau de bibliothèques (p.35) : « Le ministère de la Culture et des Communications s’assurera pour sa part de la cohérence des actions qui seront menées, en déterminant les orientations et les balises générales devant guider son développement ».
Nous souhaitons effectivement que le ministère de la Culture et des Communications soit le maître d’œuvre de cette coordination afin de rassembler les divers intervenants autant du milieu scolaire que municipal et social, autour du projet. La politique de la lecture et du livre a besoin d’un leadership marqué pour devenir force de loi.