Mémoire à la commission de la culture
Mémoire présenté à la Commission de la culture
de l’Assemblée nationale du Québec
« Une grande bibliothèque pour le Québec »
présenté à la Commission de la culture de l’Assemblée nationale du Québec par la Corporation des bibliothécaires professionnels du Québec (C.B.P.Q.) 19 novembre 1997
Table des matières
Présentation de la Corporation des bibliothécaires professionnels du Québec [1]
Préambule [1]
Le concept [1]
Les préalables à la réussite du projet [2]
Lecture et milieu scolaire [3]
La promotion du projet [3]
Les protocoles d’entente entre les intervenants [4]
Le budget de fonctionnement [4]
La structure de la GBQ [5]
Le personnel de la GBQ [6]
La GBQ comme organisme rassembleur [7]
La Grande Bibliothèque du Québec [7]
Recommandations [8]
Présentation de la Corporation des bibliothécaires professionnels du Québec
Constituée en 1969 par une loi du gouvernement du Québec (L.Q.1969, c.105), la Corporation des bibliothécaires professionnels du Québec (C.B.P.Q.) est le seul organisme mandaté pour représenter exclusivement la profession de bibliothécaire au Québec. Seuls ses membres sont autorisés à porter le titre de « bibliothécaire professionnel ».
Ayant comme objectifs fondamentaux le développement des services de bibliothèques, l’établissement des normes de compétences pour ses membres et la promotion de leurs intérêts professionnels, la C.B.P.Q. compte plus de 700 membres à travers le Québec. Répartition par secteur d’activités des membres :
- bibliothèques publiques (36 %);
- bibliothèques universitaires et collégiales (24.7 %);
- bibliothèques spécialisées (musées, agences provinciales et fédérales) (19.5 %);
- bibliothèques d’entreprises (12.5 %);
- bibliothèques scolaires (primaires et secondaires) (7.3 %).
La formation du bibliothécaire professionnel comprend un diplôme de premier cycle dans diverses disciplines et une maîtrise en bibliothéconomie et sciences de l’information (d’où 18 ans de scolarité).
Forte de sa représentation, la C.B.P.Q. présente ici ses réflexions sur le rapport de la Grande Bibliothèque du Québec.
Préambule
D’emblée, nous affirmons loger beaucoup d’espoirs dans ce projet unique dans l’histoire des bibliothèques du Québec. C’est avec enthousiasme que nous avons accueilli l’idée du projet qui donnera enfin une plus grande visibilité aux bibliothèques. C’est ce même intérêt qui nous porte à soumettre notre avis sur plusieurs aspects du rapport.
Le concept
Il nous semble essentiel de préciser la définition du concept établi, à savoir que la Grande Bibliothèque du Québec (GBQ) est une entité nouvelle, distincte de la Bibliothèque nationale du Québec (BNQ) ainsi que de la Bibliothèque centrale de Montréal (BCM). Elle réunit, au point de départ, deux collections : celle de la BNQ consacrée à la diffusion et celle de la BCM. Si nous insistons sur cet aspect, c’est qu’il a semblé y avoir eu différentes interprétations et qu’il est nécessaire de lever toute ambiguïté sur le sujet.
La Grande Bibliothèque du Québec a pour mission de rejoindre aussi bien le grand public (jeunes et adultes) que les chercheurs, en mettant à leur disposition ses collections de référence, de prêt, ses équipements technologiques et un programme d’activités d’animation culturelle. Elle joue un rôle important dans la démocratisation du savoir dans le contexte grandissant d’une économie axée sur la connaissance et l’intégration des technologies de l’information et de la communication (TIC). Elle est aussi le maître d’oeuvre de la diffusion de l’information électronique pour le réseau québécois des bibliothèques. Les services de base comme l’abonnement, le prêt, la consultation sur place ainsi que les services de référence y sont gratuits. Cependant, les services dits à valeur ajoutée autant pour l’individu que l’entreprise seront tarifés.
Les préalables à la réussite du projet
La création d’une bibliothèque hybride nécessite une redéfinition et l’affirmation du rôle et du partage de responsabilités particulièrement entre la GBQ et la BNQ. En effet, à la lecture du rapport, il apparaît que certaines fonctions dites nationales assumées jusqu’à présent par la BNQ sont dorénavant dévolues à la nouvelle entité, entraînant ainsi un besoin de précision des rôles et du leadership respectifs de ces deux bibliothèques.
De la même manière, il est tout aussi important de maintenir à l’esprit que la disparition de la BCM ne doit nullement nuire au développement du réseau des bibliothèques de Montréal. La création de la GBQ ne dispense pas la ville de Montréal de sa responsabilité d’offrir des services de qualité, de revitaliser et d’augmenter les budgets de son réseau de bibliothèques afin de répondre à la réalité des besoins d’une métropole. Ainsi dans le contexte du transfert des coûts aux municipalités, il y a lieu d’exercer, avec la venue de la nouvelle institution, une grande vigilance quant à la tentation de couper dans le budget de développement des bibliothèques de Montréal. À cet égard, la politique du livre et de la lecture, qui sera déposée vers la fin de l’année, devrait tenir compte des incidences du transfert des coûts aux municipalités sur le fonctionnement des bibliothèques et préconiser des mesures de correction. De plus, il est impératif de préciser clairement le rôle qu’assumera la GBQ envers les succursales de la ville de Montréal, particulièrement en matière de services de référence et de recherche. De la même façon, il faudra porter une attention particulière, par exemple, au rôle de la GBQ dans l’intégration des nouveaux arrivants à la société d’accueil en répartissant les niveaux de responsabilité entre les succursales de la ville de Montréal et celle-ci. Il s’agit d’un rôle qui se joue en premier lieu dans les quartiers.
Il en va ainsi de la gamme de services qu’entend offrir la GBQ. Il serait fort judicieux de préciser rapidement et de façon concrète, les services de première ligne qu’entend offrir la nouvelle bibliothèque. Le désir de réaliser les différents objectifs, tels la francisation des immigrants, les services aux clientèles particulières, la formation aux nouvelles technologies et le programme d’alphabétisation n’en garantit pas la réalisation. De plus, la définition des services est essentielle pour pouvoir préciser les types de ressources nécessaires à la GBQ (financières, humaines, technologiques et spatiales).
D’autres conditions sont essentielles à la réalisation de ce projet de Grande Bibliothèque : la levée du moratoire sur le programme de construction et de rénovation de bibliothèques au Québec, le maintien des subventions aux achats de collections et le rétablissement des subventions au fonctionnement des bibliothèques publiques. À cet effet, nous nous félicitons des propos de la Ministre qui a, dès l’ouverture de la Commission parlementaire, affirmé que le budget des autres bibliothèques du Québec ne serait pas affecté. Nous souhaitons vivement que cette déclaration ait l’appui du Conseil des ministres.
En permettant parallèlement le développement du réseau des bibliothèques publiques à travers l’ensemble du Québec, celui de la ville de Montréal et la GBQ, le Québec tout entier aura accès à un réseau d’information de qualité. On peut enfin obtenir un paysage homogène d’accès à l’information et à la lecture.
Lecture et milieu scolaire
La politique du livre et de la lecture doit être déposée en fin d’année. Ayant ceci à l’esprit, il nous semble important d’accorder une attention particulière à la clientèle scolaire. Faut-il le rappeler, le goût de lire commence à l’école! Il est donc plus que nécessaire de maintenir le développement du réseau scolaire de bibliothèques. Celles-ci ont le mandat de former les élèves à la maîtrise de l’information, de développer le goût de lire et d’intégrer les ressources, y compris les TIC, aux objectifs des programmes d’étude. Ainsi seulement peut-on espérer augmenter la fréquentation du nombre de jeunes lecteurs en bibliothèque et à la GBQ. C’est pourquoi il est de la responsabilité de la GBQ de stimuler le réseau des bibliothèques scolaires par la conception de programmes encourageant les jeunes à la lecture. En outre, les TIC devront favoriser l’accessibilité des collections de la GBQ en milieu scolaire.
La promotion du projet
Dès l’acceptation du projet, il y a lieu que la GBQ procède à la mise en place d’un plan de marketing. Compter uniquement sur l’ampleur du projet pour sa future fréquentation n’est pas une garantie d’affluence automatique. C’est pourquoi nous préconisons l’élaboration d’un plan de promotion de la GBQ afin de gagner à l’avance la population et de créer un effet d’attente chez elle. L’ouverture et la fréquentation n’en seront qu’un plus grand succès.
Autre aspect et non le moindre: la nécessité de transparence dans tout le processus d’élaboration de la GBQ, tant au niveau des protocoles d’entente, que le plan d’architecture, les nominations, etc. Cet aspect est considéré essentiel pour asseoir la crédibilité du projet auprès de la population en général et des milieux concernés en particulier.
Les protocoles d’entente entre les intervenants
Les protocoles d’entente doivent déterminer très clairement les modalités de fonctionnement et de partage des ressources humaines et matérielles des divers intervenants tout en mettant à l’abri la nouvelle institution d’un contrôle unilatéral exercé par l’une des deux composantes : la BNQ ou la ville de Montréal.
Voici quelques questions auxquelles les protocoles devraient répondre. Les collections seront-elles cédées ou prêtées? Qui pourra emprunter des livres à la GBQ et à quelles conditions?
Les protocoles doivent être à l’abri des changements de gouvernements afin de garantir une stabilité dans le fonctionnement de la GBQ. La C.B.P.Q. considère que la nomination du responsable de cette bibliothèque est une priorité puisqu’elle permettrait de mettre en place toute la philosophie sous-jacente de la GBQ et d’articuler les premières phases de fonctionnement bien avant même la construction. Un plan de développement de la GBQ s’avère essentiel à la préparation de la venue de la nouvelle institution. Nous reviendrons, un peu plus loin, sur notre vision de l’administration de la GBQ.
Le budget de fonctionnement
Le rapport fait état d’un montant de 25 millions de dollars dont une partie, soit près de 50 %, pourrait venir des budgets de fonctionnement actuels de la BNQ et de la BCM.
Nous émettons quelques réserves quant à ce budget. Il ne semble pas y avoir de garantie sur la récupération systématique du budget de fonctionnement de la BCM. Quels seront les budgets alloués au réseau des bibliothèques et quelle part ira à la Bibliothèque centrale?
De plus, le budget de fonctionnement de 25 millions de dollars inclut 2,2 millions de dollars seulement au chapitre des acquisitions de documents de la part de la BCM (tableau 9, p. 80). En considérant qu’une nouvelle institution veuille attirer une plus grande clientèle que ne le font actuellement la BNQ et la BCM, le renouvellement de la collection est primordial particulièrement dès l’implantation du projet. Le rapport évoque un taux de croissance minimal de 6.5 % de la
collection de livres et de 10 % de la collection audiovisuelle (p. 54), mais de quelle collection parle-t-on ? De la collection unifiée qui comptera 2 millions de documents ou seulement de la part de la BCM (500 000 documents), tout en tenant compte que la BNQ constitue sa collection par le dépôt légal et Montréal par l’achat.
Or le taux de fréquentation déterminera assez rapidement si la part dévolue aux achats de collections est suffisante, considérant le fait qu’une partie de la collection sera prêtée. Donc la question qu’on se pose est : quelle portion du budget des 25 millions de dollars sera consacrée à l’acquisition des collections (toutes catégories confondues)?
Ce budget inclut aussi les coûts d’opération, la masse salariale, l’acquisition des équipements informatiques (500 postes d’ordinateurs), les coûts de reconversion des documents de la BNQ ainsi que des imprévus.
Pour conclure sur cet aspect, nous sommes préoccupés quant au montant consacré au fonctionnement, mais plus encore sur le flou entourant la garantie de sa provenance.
La structure de la GBQ
Le rapport recommande que la GBQ soit constituée en société autonome et gérée par un conseil d’administration représentatif des instances participantes du milieu des bibliothèques et du grand public. Nous approuvons cette recommandation avec les précisions suivantes : nous croyons fortement qu’il va de l’intérêt de la GBQ en matière d’administration que les postes de président du conseil d’administration et de directeur général soient distincts.
Il va de soi que la nomination du directeur général ou de la directrice générale se veut des plus urgentes pour la mise en place du plan de développement de la GBQ tel que mentionné précédemment. Nous recommandons que cette personne ait minimalement une formation universitaire de 2e cycle en bibliothéconomie et sciences de l’information, une bonne connaissance de la lecture publique et de la gestion, en plus de faire preuve de leadership. Sa connaissance approfondie du milieu bibliothéconomique orientée grand public est un atout dans la reconnaissance et l’acceptation du projet par la communauté.
La Corporation des bibliothécaires professionnels du Québec, dont un de ses mandats est de voir à l’épanouissement professionnel des bibliothécaires et à la mise à contribution de leur savoir à la société, offre son assistance dans le processus de nomination à la direction générale. De plus elle considère, à titre représentatif de la profession au Québec, avoir droit de siéger au conseil d’administration de la GBQ avec d’autres représentants du milieu des bibliothèques.
Le personnel de la GBQ
Quant au nombre et à la nature des postes à la GBQ, la C.B.P.Q., soucieuse du développement de la profession, souhaite que l’on identifie clairement le nombre réel des nouveaux postes à temps plein qui seront créés. Des 350 employés dont le rapport fait mention, quel sera le pourcentage de bibliothécaires professionnels (ayant une maîtrise en bibliothéconomie et sciences de l’information)? En nous référant au document Pour des bibliothèques québécoises de qualité : guide à l’usage des bibliothèques publiques (Les Éditions Asted, 1996, art. 34.1) on recommande un bibliothécaire par 6000 habitants. Selon ces normes, pour desservir une population de 1 030 678 habitants, Montréal devrait compter 171 bibliothécaires. Le tableau 1, p. 20 du rapport démontre clairement que le Québec accuse un déficit important du nombre de bibliothécaires professionnels oeuvrant dans les bibliothèques publiques. Considérant que la GBQ doit être l’organisme phare pour l’ensemble du Québec, elle se doit de corriger cette situation et servir de modèle pour toutes les municipalités du Québec. Il a souvent été démontré que la qualité des services offerts en bibliothèque dépendait de la présence d’un nombre de professionnels plus élevé.
Le rapport parle de personnel expert et accueillant comme critère de travail à la GBQ. Ici encore nous sommes en parfait accord et nous tenons à insister sur le rôle essentiel que la formation joue dans la préparation du personnel tout qualifié qu’il soit (p.63). Les bibliothécaires, tout comme les techniciens et le personnel de soutien, devront être sensibilisés à l’approche-client, l’accueil dans une bibliothèque étant essentiel au taux de fréquentation. Cependant, en regard de l’éventail des services proposés et qui devront être précisés dans les plus brefs délais, un programme de formation devra être élaboré pour le personnel de la bibliothèque. Ce programme pourrait comprendre outre des sessions de mise à jour en matière de technologies de l’information, des activités sur les formules d’accueil en regard des clientèles visées et des services pointus offerts. Du côté de la clientèle des nouveaux arrivants, l’approche est définitivement différente et doit prévoir une connaissance préalable des problèmes propres à l’intégration. Il en va de même pour la clientèle en difficulté de lecture ou les personnes en recherche d’emploi.
La Corporation des bibliothécaires professionnels du Québec offre depuis de nombreuses années un programme de formation adapté aux réalités quotidiennes. En marge du programme offert à ses membres, elle a développé récemment des programmes de formation sur mesure à la demande du milieu. Elle offre donc son entière collaboration en la matière pour le personnel de la GBQ en concertation avec d’autres sources d’intervention possibles.
La GBQ comme organisme rassembleur
Parmi les multiples rôles que jouera la Grande Bibliothèque, il nous semble important de ne pas négliger l’effet de rassemblement que peut susciter une institution de cette envergure. Aussi nous proposons de loger dans les locaux de la GBQ les sièges sociaux des associations professionnelles nationales de bibliothécaires et bibliothèques, comme la C.B.P.Q., à l’instar de ce que l’on envisage de réaliser possiblement avec l’édifice St-Sulpice (maison de l’écrivain réunissant les associations du milieu du livre). En réunissant sous un même toit ces associations, on ajoute un élément de plus au volet national du projet et une vision d’ensemble sur le paysage bibliothéconomique.
La Grande Bibliothèque du Québec
Nous terminerons nos réflexions sur le nom à donner à cette institution unique. L’appellation provisoire de la Grande Bibliothèque du Québec semble susciter plus de confusion que d’unanimité. Il est vrai que la ressemblance entre la Bibliothèque nationale du Québec et la Grande Bibliothèque du Québec encourage cette ambiguïté d’où la nécessité de se pencher sur un nom unique qui distinguera clairement cette bibliothèque de l’ensemble des bibliothèques du Québec toutes catégories confondues. Les noms de diverses personnes célèbres pourraient être à l’étude, mais nous en laissons le soin à l’administration de cette auguste institution à laquelle nous souhaitons tous nos voeux de succès.
Recommandations
La Corporation des bibliothécaires professionnels du Québec recommande :
- que le maintien des enveloppes budgétaires allouées au réseau des bibliothèques publiques du Québec fasse l’objet d’un engagement ferme de la part du ministère de la Culture et des Communications;
- que le budget de fonctionnement de la GBQ tant le montant que la provenance soient garantis et précisés;
- que la politique du livre et de la lecture, qui sera déposée vers la fin de l’année, tienne compte des incidences du transfert des coûts aux municipalités sur le fonctionnement des bibliothèques et préconise des mesures de correction;
- que soit levé le moratoire sur le programme de construction et de rénovation de bibliothèques au Québec, maintenues les subventions aux achats de collections, et rétablies les subventions au fonctionnement des bibliothèques publiques;
- que les postes de président du conseil d’administration et de directeur général ou de directrice générale soient distincts;
- que le directeur général ou la directrice générale soit nommé(e) dans les plus brefs délais pour voir à la mise en place d’un plan de développement pour la Grande Bibliothèque;
- que le directeur général ou la directrice générale soit bibliothécaire professionnel de formation (maîtrise en bibliothéconomie et sciences de l’information) et ait une bonne connaissance de la lecture publique, de la gestion et fasse preuve de leadership;
- que la Corporation des bibliothécaires professionnels du Québec soit invitée à siéger au conseil d’administration de la GBQ à titre de représentante de la profession;
- que la GBQ, à titre d’organisme phare pour le milieu des bibliothèques, respecte les normes d’embauche de bibliothécaires professionnels (1 bibliothécaire pour 6000 habitants);
- que la GBQ loge dans ses locaux les sièges sociaux des associations professionnelles nationales de bibliothécaires et de bibliothèques.
Enfin, la C.B.P.Q. recommande que l’on étudie le nom qui sera donné au projet de Grande Bibliothèque, celui de GBQ portant à confusion. ??