SUJET : PROJET DE LOI SUR LES BIBLIOTHÈQUES PUBLIQUES AU QUÉBEC avril 2006

La CBPQ

MÉMOIRE AU CONSEIL DES MINISTRES
GOUVERNEMENT DU QUÉBEC

DE : LA CORPORATION DES BIBLIOTHÉCAIRES PROFESSIONNELS DU QUÉBEC

Avril 2006

SUJET : PROJET DE LOI SUR LES BIBLIOTHÈQUES PUBLIQUES AU QUÉBEC

1. EXPOSÉ DE LA SITUATION

1.1. Rappel historique :

En 1890, le gouvernement d’Honoré Mercier accordait aux municipalités le pouvoir d’établir et d’entretenir des bibliothèques par l’Acte donnant le pouvoir aux corporations de cité, ville et village, d’aider au maintien de bibliothèques publiques. Cette loi a été critiquée de manière virulente par le clergé et par les Conservateurs provinciaux de l’époque qui, en prenant le pouvoir en 1892, ont tôt fait de couper les subventions prévues dans cette législation. La triste situation perdure au début du 20e siècle, puisqu’en 1933 une commission d’enquête sur les bibliothèques publiques canadiennes signale dans son rapport (Rapport Ridington) l’état de sous-développement évident des bibliothèques publiques québécoises par rapport à leurs consœurs canadiennes. Un peu plus tard, en 1954, la Commission royale d’enquête sur les problèmes constitutionnels conclut que: Pour assurer la multiplication des bibliothèques et assurer la diffusion du goût de la lecture, il y a deux moyens principaux : une législation organique sur les bibliothèques et des subsides. [1] Cette idée fait son chemin et, le 18 décembre 1959, le gouvernement Sauvé adopte finalement une loi sur les bibliothèques publiques (Loi concernant les bibliothèques publiques, Statuts de Québec, 8-9 Elizabeth II, 1959-60, chap. 18, p. 103-106). Cette loi, de même que d’autres mesures gouvernementales, ont enclenché une importante phase de rattrapage pour les bibliothèques publiques québécoises. Ainsi des années 1950 à 1970, 73 nouvelles bibliothèques publiques vinrent s’ajouter au Québec. Les dispositions de la loi de 1959, qui prévoyaient la création de la Commission des bibliothèques publiques et le Service des bibliothèques publiques, sont les principales responsables de ce succès. Cette loi a par la suite subi quelques modifications. Ainsi avec, la Loi sur les bibliothèques publiques, (L.R.Q., 1977, B-3, chap. 8), le ministère des Affaires culturelles se retrouve dorénavant chargé de son exécution (art. 1). Mais la décennie suivante, la disparition des deux organismes auparavant impliqués dans cette législation entraîne plus tard sa caducité. Son abrogation pure et simple se fera en 1992 avec l’entrée en force de la Loi sur le ministère de la Culture (L.R.Q., chapitre M-17.1). La lecture de cette législation donne à penser que l’État québécois n’accorde qu’une faible importance aux bibliothèques publiques. En effet, sur 51 articles, 7 sont consacrés exclusivement aux bibliothèques publiques et aux Centres régionaux de services aux bibliothèques publiques (CRSBP auparavant BCP). En fait, seuls les articles 16 et 17 concernent uniquement les bibliothèques publiques autonomes qui desservent pourtant 82 % de la population. En outre, on ne retrouve pas, dans ces dispositions, le principe de gratuité d’accès à la lecture publique et ce, même si le rapport de la Commission d’étude sur les bibliothèques publiques, présidée par Philippe Sauvageau, le recommandait en 1987 [2] . Ce principe est pourtant inscrit dans les législations de nombreux États à travers le monde et, plus près de nous, dans celles des autres provinces canadiennes.

1.2. Problématique :

Au Québec, on ne semble toujours pas avoir compris l’importance des bibliothèques publiques dans l’économie du savoir. On peut constater que certains pays comme la Finlande et la Suède, dont la taille et la population sont semblables au Québec, font de leurs bibliothèques publiques la pierre d’assise de leur stratégie d’accès à la société du savoir. Nous considérons qu’il faut amener les Québécois et Québécoises à lire davantage et à mieux s’informer. La solution passe, selon nous, par des bibliothèques publiques convenablement gérées et dotées. Il faut rappeler les valeurs fondamentales véhiculées par les bibliothèques publiques pour une société démocratique: la liberté intellectuelle, l’accès à la connaissance, l’information et l’auto-apprentissage des citoyens. Parce qu’universellement accessibles, les bibliothèques publiques sont également des outils d’intégration des nouvelles communautés culturelles.

Le coût des bibliothèques est souvent considéré comme une dépense, alors qu’il s’agit en fait d’un investissement. Le Québec se compare avec les autres provinces canadiennes, les bibliothèques publiques québécoises se classent dans la queue du peloton (dernier ou avant-dernier) pour huit indicateurs comparables. [3] Lorsqu’on se compare plus particulièrement à l’Ontario, on est à même de constater que, malgré la restructuration majeure de l’État opérée sous le gouvernement de Mike Harris, les dépenses en matière de bibliothèques publiques ont augmenté de 1995 à 2001 pour atteindre le double de celles du Québec. Le prétexte de l’arrivée des nouvelles technologies pour justifier le piètre financement des bibliothèques publiques n’est pas valable puisque qu’entre 1995 et 2001, la fréquentation des bibliothèques publiques québécoises s’est accrue de près 20 %.

Selon nous, le problème ne se limite pas au financement, mais tient plus au mode de gouvernance des bibliothèques publiques québécoises. Pendant que dans le reste de l’Amérique du Nord, et plus particulièrement dans six provinces canadiennes, les bibliothèques possèdent une structure administrative de type corporative, le Québec continue d’avoir une vaste majorité de ses bibliothèques publiques gérées comme une activité du service des loisirs de la municipalité. Il est pourtant réducteur de considérer la bibliothèque publique comme une simple activité de loisir; cette conception ne correspond pas aux rôles qui devraient lui être confiés selon le Manifeste de l’UNESCO sur les bibliothèques publiques.

Il en résulte que les efforts du gouvernement provincial pour encourager la lecture publique se retrouvent souvent presque annulés par des décisions locales plus ou moins éclairées tels la tarification de l’accès, des heures d’ouverture restreintes et un personnel qualifié en nombre insuffisant.

Selon les données de l’Enquête internationale sur l’alphabétisation des adultes [4] recueillies entre 1994 et 1998, environ un million de Québécois de 16 à 65 ans, soit un adulte sur cinq (21,1 %), éprouvent des difficultés importantes à lire et à écrire. En outre, dans le contexte de la société du savoir, la notion d’alphabétisme (savoir lire, écrire et compter), est dorénavant élargie au « savoir s’informer ». Les anglophones parlent du concept « d’Information Literacy ». Dans ce contexte, les bibliothèques s’avèrent une ressource inestimable puisque, comme maîtres d’œuvres, elles mettent à la disposition de toute la communauté une expertise établie. Les Québécois ne pourront pas prendre leur place dans l’économie du savoir avec l’un des pires réseaux de bibliothèques en Amérique du Nord. Pourtant, le « modèle québécois » repose notamment sur la démocratisation, le partage et la consultation. La bibliothèque publique constitue le principal lieu de médiation des savoirs. Elle s’avère donc essentielle pour l’acquisition, l’expérimentation et le renforcement des compétences informationnelles. Déjà la loi de 1959 sur les bibliothèques publiques confirmait cette assertion : «que les bibliothèques publiques jouent un rôle primordial dans la vie culturelle d’une population […] et qu’à la suite des progrès réalisés ces dernières années dans le domaine éducatif et culturel, de pressants besoins de bibliothèques se font sentir dans la province […]»

Voici en résumé les principaux enjeux et problématiques auxquels sont confrontées les bibliothèques publiques québécoises :

  • l’arrivée de Bibliothèque et archives nationales du Québec;
  • le développement de réseaux de bibliothèques publiques par le biais des fusions municipales;
  • des développements rapides et presque continuels dans les technolo­gies de l’information;
  • des bibliothèques publiques offrant un niveau de service nettement inférieur à celles des autres provinces canadiennes;
  • une incapacité fonctionnelle à remplir parfaitement leurs rôles;
  • une disparité dans l’accessibilité aux services de lecture publique;
  • l’émergence de nouveaux rôles devant être assumés par les bibliothèques publiques locales comme: le soutien informationnel au perfectionnement des compétences, l’accès et l’initiation aux technologies de l’information, l’appui à l’insertion des commu­nautés locales à l’économie globale basée sur la société du savoir;
  • une pression pour une prestation pertinente et efficace du service de bibliothèques publiques;
  • une disparité qui s’élargit de plus en plus entre les bibliothèques qui peuvent se tenir à jour face aux changements et celles qui sont incapables de le faire;
  • la poursuite des restructurations et des fusions de différentes muni­cipalités, causant une diminution du nombre de petites bibliothèques;
  • la sensibilisation du milieu municipal au développement de sa bibliothèque;
  • les pressions croissantes exercées pour définir encore plus précisément le rôle de la bibliothèque publique par rapport aux autres four­nisseurs d’information;
  • des usagers plus exigeants avec des besoins de plus en plus complexes;
  • le maintien des ser­vices actuels, tout en introduisant de nouveaux;
  • une main-d’œuvre professionnelle qualifiée en nombre insuffisant.

2. LOIS EXISTANTES

Dans la législation provinciale québécoise, le chapitre III de la Loi sur le ministère de la Culture et des Communications (L.R.Q., chapitre M-17.1) concerne les bibliothèques publiques. Il s’agit en fait de sept articles (16 à 23). Les articles 16 et 17 de cette loi, concernent les bibliothèques publiques autonomes, c’est-à-dire non affiliées à un CRSBP.

Dans l’éventualité de l’adoption d’une loi sur les bibliothèques publiques, il faudrait abroger les articles 16 et 17 de la Loi sur le ministère de la Culture et des Communications (L.R.Q., chapitre M-17.1). Il faudrait également ajouter aux responsabilités de ce ministère l’application de cette loi.

Quatre articles de la section VII.1 du Code municipal du Québec (L.R.Q. Chap. C-27-1) sont également consacrés aux bibliothèques publiques. On peut y constater que le législateur laisse toute latitude aux municipalités en ce domaine. L’article 524.3, illustre parfaitement ce fait: «Toute municipalité locale peut, aux conditions qu’elle détermine, aider à l’établissement et au maintien de bibliothèques publiques sur le territoire de la municipalité ou sur celui qui y est contigu». Il faudra tenir compte de ces articles dans l’élaboration de la loi sur les bibliothèques publiques et éventuellement les modifier.

Impact sur d’autres lois :

Il existe actuellement une loi qui oblige les bibliothèques publiques et scolaires sauf les universités) à s’approvisionner chez des libraires agréés par le gouvernement provincial. Il s’agit de la Loi sur le développement des entreprises québécoises dans le domaine du livre, (L.R.Q., Chap. D-8.1, 1993). Il est interdit aux librairies d’offrir des ristournes aux bibliothèques. Cette mesure force les bibliothèques à payer leurs livres 30 p. cent de plus que dans le reste du Canada. L’objectif de cette loi est d’aider le réseau des librairies québécoises. Il semble y avoir un accord tacite de maintenir le statu quo sur ce sujet parmi les libraires et bibliothécaires. Il faudra néanmoins tenir compte de cette législation dans l’élaboration d’une loi sur les bibliothèques publiques.

Il existe une loi sur la Bibliothèque nationale du Québec (L.R.Q. Chap. B2-2.). Cette législation prévoit notamment à l’article 15 (alinéas 7 et 8) que cette organisation doit : « développer et mettre à la disposition des bibliothèques publiques des services de soutien et d’expertise technique » et également « susciter la coopération entre les bibliothèques publiques et les autres réseaux de bibliothèques et agir comme bibliothèque d’appoint pour l’ensemble des bibliothèques publiques du Québec. ». Il faudra donc tenir compte de cette législation dans l’élaboration de la loi sur les bibliothèques publiques.

Il faudra également tenir compte des dispositions du chapitre III de la Loi sur les compagnies (L.R.Q. Chap. C-38).

3. SOLUTIONS POSSIBLES

La solution globale aux problématiques précédemment mentionnées consiste en l’élaboration et l’adoption d’une loi sur les bibliothèques du Québec. On n’a pas à établir de commission d’étude sur ce sujet puisque le rapport de la Commission d’étude sur les bibliothèques publiques soulignait, dès 1987, l’importance pour les bibliothèques publiques de s’appuyer sur une loi. [5] Malgré tout, après l’abrogation, en 1992, de la précédente législation, le gouvernement québécois n’a pas adopté d’autre loi sur les bibliothèques publiques. Les articles prévus à cet effet dans la loi créant le Ministère de la Culture, devenu depuis peu le Ministère de la Culture et des Communications, se sont avérés insuffisants. La notion de bibliothèque s’y trouve trop diluée. Il faut une législation spécifique sur cette question.

Dans le passé, des mesures législatives (ou administratives) ont eu un effet sur le développement des bibliothèques publiques. Signalons à titre d’exemple que certaines mesures législatives ont eu un impact positif sur les bibliothèques publiques ontariennes. Évidemment, certains prétexteront qu’en Ontario une longue tradition a précédé ces mesures. Même s’ils n’ont pas tort, rappelons tout de même qu’au Québec une tradition aurait pu poindre, mais qu’elle a été étouffée en ses débuts (fin du 19e siècle) par le conservatisme et plus tard par l’indifférence gouvernementale (20e siècle). Quoi qu’il en soit, nous sommes conscients que d’autres facteurs peuvent expliquer la situation précaire des bibliothèques publiques québécoises. Une future législation ne constitue pas une panacée, mais devrait permettre, avec l’arrivée de la Grande bibliothèque, de donner le coup de barre nécessaire au développement des bibliothèques publiques.

Dans cette nouvelle législation sur les bibliothèques publiques, nous proposons qu’une disposition favorise la corporation à but non lucratif en tant que mode de gouvernance de ces bibliothèques. Celles qui le souhaiteraient pourraient se constituer en personne morale (c’est-à-dire en corporation) et demander au registraire des entreprises de leur délivrer des lettres patentes de constitution en vertu de la partie III de la Loi sur les compagnies (L.R.Q. Chap. C-38).

Il n’est pas souhaitable que l’État central se substitue aux pouvoirs locaux dans la gouvernance de leur bibliothèque publique, mais il serait préférable de remettre ce pouvoir entre les mains d’intervenants locaux convaincus du bien-fondé de la lecture publique. Ce pouvoir local serait mieux servi par la création de corporations autonomes. Les municipalités seraient tenues de continuer à financer les bibliothèques publiques sur leur territoire et le gouvernement provincial continuerait de les appuyer par le biais de ses programmes de financement à l’acquisition de ressources documentaires, d’appui aux travaux de construction ou de rénovation de bibliothèques et par l’expertise partagée de la Bibliothèque nationale du Québec.

Signalons par ailleurs qu’il ne s’agit pas d’un modèle révolutionnaire pour le Québec, puisque certaines bibliothèques publiques québécoises (Rouyn-Noranda, Québec, St-Hyacinthe, Joliette, etc.) de même que les CRSBP sont présentement gérés par des conseils d’administration.

Nous proposons également que la nouvelle loi établisse le principe de gratuité de l’accès. Les mesures en ce sens prévues dans la politique du livre et de la lecture ont eu un impact dans plusieurs bibliothèques qui ne tarifient plus. Par contre, près de 40 % d’entre elles continuent néanmoins de tarifer. Il s’agit d’une iniquité territoriale en ce qui a trait à la démocratisation du savoir et de la culture. Le gouvernement du Québec a la responsabilité de minimiser ces iniquités.

Une Commission permanente des bibliothèques québécoises devrait également être créée par cette législation. De concert avec BAnQ, cette commission serait chargée de coordonner le développement des bibliothèques publiques québécoises et de surveiller le respect des normes reconnues.

4. LES AVANTAGES ET DÉSAVANTAGES DES SOLUTIONS POSSIBLES

4.1. Avantages

Le fait de créer une loi spécifique viendrait confirmer l’importance accordée par l’État au développement de la lecture publique. Cette loi viendrait donner l’impulsion nécessaire au rattrapage des bibliothèques publiques québécoises par rapport aux autres provinces canadiennes. Une loi permettrait aussi de définir le rôle accordé aux bibliothèques publiques au sein de la communauté. Elle permettrait également de fixer les bornes des priorités de services. Elle désignerait enfin l’organisme responsable de leur gestion sur le plan local.

Le fait de créer une commission des bibliothèques québécoises permettrait de mieux coordonner le développement des bibliothèques, de veiller au respect de normes permettant une plus grande équité et qualité dans l’offre de service de bibliothèques pour les Québécois et Québécoises.

Le fait que les bibliothèques soient gérées comme des corporations permettraient une implication plus grande des milieux directement concernés, de même qu’une plus grande autonomie et responsabilisation de ceux-ci. Soulignons que le modèle participatif dans la gestion des services publics, hérité de la Commission Castonguay-Nepveu (1971), a fait ses preuves dans la gestion de différentes activités de l’administration publique. La gestion en corporation permettrait d’impliquer les personnes intéressées dans le développement de leur bibliothèque locale. Cette forme de démocratie directe basée sur une plus grande participation citoyenne permet d’accroître les capacités d’action et de moduler les efforts en fonction des besoins spécifiques et particuliers. Un palier décisionnel plus direct permet également de bénéficier d’une plus grande expertise. Les administrations municipales qui sont les autorités de tutelle actuelles ont des préoccupations plus hétérogènes. La création d’une corporation dédiée à cette problématique devrait conduire à des décisions et à des interventions plus éclairées parce que les préoccupations y seraient plus homogènes. D’ailleurs, le modèle actuel a prouvé son inefficacité puisque les bibliothèques québécoises se retrouvent dernières ou avant-dernières dans presque toutes les statistiques permettant de les évaluer par rapport à celles des autres provinces canadiennes

Il faut rappeler qu’un conseil d’administration d’une corporation offrant un service public remplit des fonctions différentes dans la société par rapport à celles jouées par les employés de ces services. Ces fonctions sont morales, légales, d’orientation et d’évaluation des activités rendues aux citoyens. Ces conseils d’administration apportent une valeur ajoutée non seulement à l’organisme, mais aussi à l’ensemble de la société.

Cette structure permettrait également des levées de fonds de même que la sollicitation de dons privés et corporatifs. Les dons s’obtiennent plus aisément lorsque les donateurs savent que les sommes n’ont aucune chance de se retrouver dans le fonds consolidé d’une municipalité.

Enfin, le principe de la gratuité établie par une loi provinciale permettrait d’accroître la fréquentation des bibliothèques publiques. La plupart des spécialistes du domaine des bibliothèques considèrent que la tarification de l’abonnement à la bibliothèque est une pratique qui constitue un frein évident à la diffusion de la lecture publique [6] . L’objectif habituel de la tarification des services publics est d’instituer une forme de ticket modérateur. Une étude menée dans l’ensemble des bibliothèques du Québec en 2000 a permis de conclure : « qu’à l’échelle du Québec, nombreux sont ceux qui s’abstiennent de fréquenter leur bibliothèque publique ou d’y emprunter des documents dès que celle-ci impose une tarification. » [7] Il n’est pas vraiment souhaitable dans ce sens de souhaiter modérer l’accès à la culture et à l’information. Ajoutons que l’UNESCO se prononce sur le sujet dans son Manifeste sur la bibliothèque publique : « La bibliothèque publique doit être financée en totalité par l’État ou les collectivités locales; ses services ne doivent donner lieu à aucun paiement de la part des usagers. » On peut observer depuis quelques années que de plus en plus, les bibliothèques publiques québécoises, qui pratiquaient cette forme de tarification, ont tendance à l’abandonner surtout depuis que le gouvernement du Québec a instauré une bonification des subventions pour les bibliothèques publiques qui ne tarifient pas l’accès de leur bibliothèque à leur citoyen. La tarification pour l’abonnement à la bibliothèque pour les usagers non résidants est par contre une pratique généralisée et nettement plus justifiable.

4.2. Désavantages

Certaines municipalités pourraient voir d’un mauvais œil que leurs bibliothèques municipales s’émancipent, préférant pouvoir garder le contrôle total sur ces dernières.

On peut craindre un désintéressement et désengagement financier des municipalités face à une corporation dont la gestion leur échappe en partie. Nous devons cependant préciser que ce n’est pas ce qui se passe ailleurs. En effet, les bibliothèques des autres provinces, gérées en corporation, reçoivent plus d’argent en proportion que les bibliothèques québécoises n’en reçoivent de leur municipalité alors qu’elles sont pourtant intégrées en tant que service municipal.

Il faut signaler que la formation et l’expérience de plusieurs des bibliothécaires, gérant actuellement les bibliothèques municipales québécoises, devront être mises à jour afin de les préparer à passer de responsable d’un service (ou sous-service) à directeur général de corporation. Signalons que dans le domaine scolaire, les directeurs d’école n’étaient pas plus préparés à gérer des écoles avec des conseils d’établissements et ils ont néanmoins réussi la transition.

La gratuité dans l’accès entraînerait une baisse de revenus pour certaines municipalités. Cette baisse sera cependant marginale compte tenu des tarifs d’abonnement en vigueur. Signalons que la majorité ne tarifie pas et que les villes les plus populeuses (Québec et Montréal) pratiquent déjà la gratuité. Il faut tout de même prévoir de légères contestations de la part des municipalités concernées. Pour cette raison, nous prévoyons bonifier le programme de soutien à l’acquisition de documents.

5. L’ANALYSE COMPARATIVE

L’Ontario

Lorsqu’on examine les mesures reconnues d’évaluation de bibliothèques publiques, on constate que l’Ontario possède l’un des meilleurs systèmes de bibliothèques publiques au Canada. L’une des raisons est que l’Ontario dispose, depuis 1882, d’une loi sur les bibliothèques publiques.

Voici les objectifs généraux de cette législation :

  • Objectif général A : Chaque Ontarien aura accès aux ressources d’information situées dans la province au moyen d’un système de partenariats entre tous les genres de fournisseurs d’informations.

  • Objectif général B : Chaque Ontarien recevra de la part des bibliothèques publiques un service précis, adéquat et correspondant aux besoins de chaque individu et de la communauté.

  • Objectif général C : Chaque Ontarien bénéficiera des services de bibliothèque fourni [sic] par un personnel compétent, fonctionnant à un niveau d’excellence reconnu, dévoué aux usagers et dirigé par des administrateurs responsables.

  • Objectif général D : Chaque Ontarien aura librement et gratuitement accès aux ressources et aux services de toutes les bibliothèques publiques

La législation ontarienne crée un service des bibliothèques publiques tel qu’en a disposé le Québec pendant un certain temps. Le Provincial Library Service Branch se retrouva, avec la mise à jour de la Library Act de juillet 1974, avec six niveaux de responsabilités :

  1. Distribution des subventions.
  2. Établissement des conditions de paiement des subventions.
  3. Régularisation de l’établissement, de l’organisation et de la gestion des bibliothèques.
  4. Contrôle de l’enseignement professionnel en bibliothéconomie.
  5. Contrôle de la qualification du personnel de bibliothèques.
  6. Gestion des bibliothèques institutionnelles. [8]

L’Alberta

La loi sur les bibliothèques publiques de l’Alberta prévoit également que les bibliothèques publiques soient gérées par des conseils d’administration. Toutes les bibliothèques publiques sont intégrées dans un système coopératif régional. On y centralise les achats, le catalogage et la préparation matérielle des documents. En outre, la carte d’usager de bibliothèques permet l’accès à l’ensemble des bibliothèques d’une région.

Il serait particulièrement pertinent de s’inspirer des législations ontarienne et albertaine dans l’élaboration de la loi québécoise sur les bibliothèques publiques.

6. LES INCIDENCES SUR L’ACTIVITÉ RÉGLEMENTAIRE

La présente législation ne présente pas d’impact significatif sur l’activité réglementaire mis à part le fait de regrouper les dispositions législatives concernant les bibliothèques publiques.

7. LES INCIDENCES FINANCIÈRES

L’incidence financière d’une législation sur les bibliothèques publiques doit être considérée comme mineure puisque les ressources consacrées aux bibliothèques publiques par le ministère de la Culture et des Communications ne devraient être bonifiées que de deux ou trois employés supplémentaires. Le Ministère s’engage à trouver ses ressources à même son budget de fonctionnement.

Au cours des deux premières années de l’adoption de la législation, un programme de formation à la gestion de corporation devrait être mis en place et dispensé dans les diverses régions du Québec. Ces formations pourraient être confiées aux divers regroupements régionaux de l’Association des bibliothèques publiques du Québec. On doit prévoir ici un montant non récurrent de 50 000 $.

Afin de démontrer le sérieux du législateur dans le développement du réseau des bibliothèques publiques, il faudrait prévoir un budget supplémentaire d’aide à l’acquisition de ressources documentaires d’environ 2, 500, 000 $ par année. Ce budget serait par la suite récurrent et indexé.

8. LES RELATIONS INTERGOUVERNEMENTALES

Les modifications proposées ne présentent aucune incidence particulière sur les relations intergouvernementales.

9. LES INCIDENCES TERRITORIALES, SOIT SUR LES RÉGIONS, SUR LA CAPITALE NATIONALE ET SUR LA MÉTROPOLE.

La nouvelle législation aurait un impact sur la gouvernance des bibliothèques municipales puisqu’elles seraient imputables à leur conseil d’administration et non pas directement aux administrations municipales. Tel que mentionné précédemment, quelques municipalités préféreraient pouvoir garder le contrôle total sur leurs bibliothèques.

La capitale nationale ne sera par contre pas touchée puisque sa bibliothèque publique est déjà gérée par une corporation (Institut canadien de Québec).

Les bibliothèques publiques des villes et villages de moins de 5000 habitants sont pour la plupart liées par contrat de service aux CRSBP. Ces derniers sont déjà constitués en corporations.

En région, plusieurs bibliothèques publiques autonomes sont également gérées par des corporations (ex. : Rouyn-Noranda, Joliette et St-Hyacinthe)

10. LES INCIDENCES SUR LES JEUNES

La législation proposée n’aurait pas d’impact à ce titre, si ce n’est possiblement des retombées positives sur la réussite scolaire et la formation continue par l’intermédiaire d’un meilleur système de bibliothèques publiques.

11. LA CONSULTATION MINISTÉRIELLE

Une consultation avec le ministère des Affaires municipales et des régions sera nécessaire puisqu’il concerne une compétence qui a été déléguée jusqu’à présent aux municipalités.

12. LA CONSULTATION DU MILIEU MUNICIPAL

Pour les raisons évoquées au point précédent, une consultation devra être lancée auprès du milieu municipal : Fédération québécoise des municipalités (FQM) et Union des municipalités du Québec (UMQ)

Benoit Ferland, Bibl.prof.
Président
Corporation des bibliothécaires professionnels du Québec

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[1] Québec, Rapport de la Commission royale d’enquête sur les problèmes constitutionnels, 1956, v. 3, p. 242.

[2] Québec. Commission d’étude sur les bibliothèques publiques du Québec. Les bibliothèques publiques une responsabilité à partager : rapport, p. 278.

[3] État des lieux du livre et des bibliothèques. Institut de la statistique du Québec/Observatoire de la Culture et des Communications du Québec, 2004, p. 218.

[4] Enquête internationale sur l’alphabétisation des adultes. Statistiques Canada, OCDE, Eurostat et l’UNESCO, 1994.

[5] La Commission, Les bibliothèques publiques…, p. 68.

[6] Hachey, Isabelle. Des bibliothèques payantes et moins fréquentées. La Presse. 22 déc. 1998. A12.

Réjean Savard et Jean-Marc Lynch. La tarification des bibliothèques publiques constitue une contradiction et une injustice. La Presse. 23 oct. 19948. B2

Ghislaine Lauzon. Conséquences de la tarification de l’abonnement. Revue Défi, août 1995, p.37-38.

[7] Sylvain Lavoie. Tarification jeunesse dans les bibliothèques publiques du Québec : ticket modérateur vers l’analphabétisme? Revue Défi. Vol. 2, no 1, 2000, p. 27.

[8] Ontario. Loi sur les bibliothèques publiques (L.R.O. 1990, Chap. P.44), p. 51.